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sortie d’une supérette. Ce qu’elle réussit à récolter en trois mois lui permet non seulement
            de vivre, mais aussi d’économiser de quoi rentrer en Roumanie et entretenir sa famille
            pendant deux mois. Ça nous interroge sur nos standards. »





            Le 17 octobre dernier, le centre d’hébergement pour SDF qui va ouvrir prochainement en
            bordure du bois de Boulogne prenait feu. Un incendie volontaire, qu’on imagine volontiers
            être le fait d’habitants du quartier, tant la contestation contre le projet y a été véhémente.
            J’entendais un matin les arguments des opposants au projet, des arguments économiques
            dont on a assez dit qu’ils étaient choquants, mais j’entendais aussi autre chose : des voix
            tremblantes de gens braqués désespérément contre un présent qu’ils n’arrivent pas à voir
            comme le leur. Car on ne pourra pas, on ne peut déjà plus, se barricader dans ses beaux
            quartiers, dans un temps arrêté. Ce n’est tout simplement pas tenable, ce n’est en aucun
            cas un projet.

            Il faudra bien changer de logiciel, disait Anne Hidalgo sur Inter à un auditeur exaspéré par
            la fermeture des voies sur berge. Il faudra certainement les changer tous. Ma génération,
            née dans les années soixante, et celle de mes parents manquent peut-être de l’imagination
            et de la générosité nécessaires, elles ont été trop gâtées. Mais j’ai confiance en celle de la
            petite Rose, qui aura vu les SDF et les tentes à hauteur de poussette, et se fera sans doute
            une autre idée de ses standards de vie et de sa zone de confort.




            Pascale Kramer, écrivain

            Le UN

            N°128
            02 novembre 2016
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